Depuis 2011, les côtes des Antilles sont touchées par les échouages successifs de bancs de sargasses comme jamais auparavant. Après les épisodes de 2011, 2012 et 2014, celui de 2015 est de loin le plus impressionnant. La Guadeloupe n’est pas épargnée et les conséquences sur l’économie locale et le tourisme balnéaire ont déjà été fortement rapportées.

Qu’est-ce que c’est ?

Sargassum fluitans (crédit photo: GCRL).

Sargassum fluitans (crédit photo: GCRL).

Les sargasses sont des algues de l’ordre des fucales dont il existe des dizaines d’espèces fixées au fond de la mer ou flottantes (pélagiques). Dans tous les cas elles sont maintenues à la surface ou à proximité par des flotteurs ou aérocytes (petites poches sphériques remplies d’un gaz produit par l’algue elle-même). Ce sont les algues qui se rapprochent le plus des plantes terrestres avec un axe et des « feuilles ». Ces feuilles sont longues, de forme ovale, et ont soit une bordure lisse ou dentée.

Les sargasses qui s’échouent sur les plages des Antilles depuis 2011 sont des algues brunes pélagiques appartenant à 2 espèces : sargassum natans et sargassum fluitans (ci-contre). La différence entre les deux espèces est subtile mais toutefois possible grâce à ce guide d’identification.

 

Sargassum natans (crédit photo: GCRL).

Sargassum natans (crédit photo: GCRL).

D’où viennent-elles ?

Une étude menée par Gower et son équipe et publiée dans la revue spécialisée Remote Sensing Letters en 2013 a dans un premier temps révélé clairement par le biais de l’analyse d’images satellite que ces sargasses ne proviennent pas de la mer des sargasses telle qu’on avait pu légitimement l’imaginer jusque-là, mais bien d’une nouvelle région située au nord de l’estuaire de l’Amazone, au Brésil (Gower et al., 2013). Des études plus récentes on montré que, poussées par les courants océaniques et le vent des systèmes dépressionnaires de la zone de convergence intertropicale (ZCIT), les algues qui prolifèrent (bloom) du fait d’une forte température océanique et surtout d’un important apport en nutriments des fleuves Amazone et Congo, se multiplie dans la ZCIT puis remontent le long de l’Amérique du sud jusque aux Petites Antilles en utilisant le courant nord brésilien (Fonseca et al., 2004) et finissent par atteindre les côtes d’Amérique Centrale et du Golfe du Mexique. L’autre côté de l’Atlantique n’est pas épargné, puisque des échouages massifs ont également été reportés du Sénégal au Nigeria depuis 2011 (Johnson et al., 2012).

Localisation des échouages de sargasses et position de bancs/lignes de sargasses repérés en mer par avion (carrés noirs). L'ellipse positionne grossièrement la zone de convergence intertropicale (Z-CIT) (source: Johnson et al., 2012).

Localisation des échouages de sargasses et
position de bancs/lignes de sargasses repérés
en mer par avion en 2011 (carrés noirs).
L’ellipse positionne grossièrement la
zone de convergence intertropicale
(Z-CIT) (source: Johnson et al., 2012).

Conséquences

Outre l’aspect inesthétique de ces algues recouvrant les lagons et les plages de l’archipel guadeloupéen, elles représentent aussi des problèmes économiques et environnementaux et potentiellement de santé publique.

1. Environnementale

Actuellement, et compte tenu de l’état dégradé des écosystèmes littoraux de Guadeloupe, les conséquences environnementales de l’échouage des sargasses semblent être les plus préoccupantes. En effet, ces algues qui s’accumulent en zone côtière où elles entrent en phase de décomposition finissent par étouffer le milieu marin et les espèces qu’il abrite par asphyxie (on parle d’eutrophisation du milieu). Les espèces les plus vulnérables telles que les coraux qui ont un cycle de vie très lents et sont déjà fortement contraints par les activités anthropiques, les épisodes cycloniques et le réchauffement climatique risquent d’en subir gravement les conséquences à terme.

Un autre problème réside dans le fait que ces algues, qui en mer agissent comme des dispositifs concentrateurs de poissons (DCP) dérivants et proposent des niches de protection pour les juvéniles de poissons et crustacés comme pour les tortues marines, forment un cordon infranchissable pour ces tortues marines une fois arrivés sur la frange littorale : d’une part elles empêchent les tortues adultes de venir pondre, et d’autre part, elles empêchent les tortillons de rejoindre la mer une fois sortis du nid.

2. Economique – Impact sur la filière pêche

La conséquence des arrivées des sargasses dans l’archipel sont de 2 ordres : premièrement, les sargasses exercent un effet répulsif (olfactif et visuel) sur le tourisme qui fuit les plages et la frange littorale, voir tout simplement la Guadeloupe. Deuxièmement, le secteur de la pêche se trouve paralysé dans tous les sens du terme : certains ports présentent une configuration qui favorise l’accumulation des sargasses, empêchant toute sortie possible pour les navires, les nappes au large empêche la pose ou la lève des engins de pêche, occasionnent des dégâts sur les engins de pêche et sur les moteurs des navires, etc.

Liste des complications associées aux arrivées massives de sargasses et identifiées comme impactant la pêche professionnelle guadeloupéenne:

  • Obstruction des ports ;
  • Navigation compliquée pour éviter les bancs en dérive ;
  • Colmatage des circuits de refroidissement des moteurs et surchauffe ;
  • Balisages des engins de pêche coulé et pertes d’engins ;
  • Filets colmatés par les algues donc non pêchant, opérations de lève et de démaillage des algues compliquées ;
  • Mortalité de poissons et coraux sur les espaces côtiers et les nurseries.

 

Vue satellite du littoral de Saint-Marie (Guadeloupe) prise le 23/08/2014. On voit que les navires de pêche sont encerclés dans le port par les sargasses, qu’un bandeau d’algues borde le littoral et que des nappes de plusieurs centaines de mètres sont en train d’arriver (source: Google Earth).

Le port de St Felix rempli de sargasses le 28 avril 2015.

Le port de St Felix rempli de sargasses le 28 avril 2015.

A noter qu’il est tout de même démontré depuis de nombreuses années que les nappes de sargasses servent d’habitat à un certain nombre d’espèces et à leur présence est associée une augmentation de la concentration de certains pélagiques comme les daurades coryphènes, les thons ou encore les thazards (Cazassa et Ross, 2008). C’est d’ailleurs pour cette raison que la récolte des sargasses au large par une compagnie privée américaine a été considérablement limitée à partir de 2003 par le South Atlantic Fishery Management Council[1]. En effet des entreprises et laboratoires de recherche collectent les sargasses pour produire un complément alimentaire riches en minéraux, hydrates de carbone et acides aminés pour les moutons par exemple (Marin et al., 2009 ; Wishnat, 2013 ; Forster et Radulovich, 2015) ou pour en faire des engrais naturels (Williams et Feagin, 2007 ; Lavine, 2015).

3. Sanitaires

Les problèmes sanitaires proviennent de l’inhalation des gaz issus de la décomposition des algues sargasses sur les plages. Des recommandations de l’ARS et de la DEAL ont d’ailleurs été rapidement émises concernant la récolte et le stockage de ces algues[2].

Des problèmes cutanés occasionnés lors de contact direct avec les algues sargasses ont également été rapportés aux autorités sanitaires mais il semblerait qu’ils soient dus à la présence d’organismes urticants dans les algues plutôt qu’aux algues elles-mêmes. Les différents symptômes en fonction de l’exposition au gaz H2S sont listés dans le Tableau ci dessous.

Relation dose/effets du sulfure d’hydrogène (H2S) chez l’homme (Source : Rapport ARS 2011)

Relation dose/effets du sulfure d’hydrogène (H2S) chez l’homme (Source : Rapport ARS 2011)

Actions du CRPMEM-IG

Dès le premier épisode d’invasion en 2011, les marins-pêcheurs avaient affirmé leurs disponibilité et capacités pour agir dans le cadre du nettoyage des algues avant échouage, moyennant des phases de tests d’outils et de méthodes appropriées à différentes configurations.

A travers le CRPMEM des Iles de Guadeloupe, la filière pêche renouvelle sa disponibilité pour participer à un plan de lutte coordonné contre l’invasion des sargasses et ses conséquences, en mobilisant les moyens nautiques de la pêche mais surtout les capacités des professionnels.

Cette implication des marins-pêcheurs peut constituer une opportunité de diversification et de compléments de revenus de la pêche et d’atténuation des préjudices subis en conséquences de l’invasion des algues. De tels mécanismes de défraiement des pêcheurs pour des services environnementaux rendus existent et sont financés par des fonds publics : cas des pêcheurs français impliqués dans la collecte des déchets flottant ou mobilisés dans le cas de marées noires.

Plus d’information sur ce sujet dans les semaines à venir.

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[1] http://safmc.net/Library/Sargassum

[2] http://www.gwadair.fr/images/pdf/etudes/Rapport-ARS.pdf